Ça
fait sept ans que je vis ici. Avant je déménageais souvent pour cacher mes
antécédents, mais je me plais bien au lotissement, ma femme et mes enfants
aussi. Pour eux, j’ai essayé de me tenir, mais Vivi absent, je me suis senti
perdu et j’ai dérapé.
Si
je viens le voir tous les vendredis, c’est pas par hasard. Ça fait des semaines
et des mois que j’y pense. Des mois et des semaines que le film se met en
marche dès que je la vois passer derrière la fenêtre.
C’est
pas le genre de Vivi de manquer notre rendez-vous. J’ai fait le tour de la
propriété. Personne à part les poules et le coq. Un peu inquiet, j’ai essayé de
l’appeler. Répondeur. Et puis j’ai pensé à la fille qui court.
D’habitude,
je détourne la tête quand elle passe, alors que Vivi la regarde. Il me raconte
que c’est la fille de Charles qui l’a élevée tout seul parce que sa femme est
morte d’un cancer. Il dit qu’elle était gamine quand c’est arrivé. Elle a deux
fillettes maintenant. Vivi ne l’appelle jamais par son prénom. Moi, je ne
demande rien, je ne pose pas de questions.
Sans
réfléchir, j’ai pris le volant de ma Scénic gris métallisé, choisie pour que
Clément et Justine aient du confort et parce que le modèle est tellement
répandu qu’elle passe inaperçue. J’ai avancé quelques centaines de mètres plus
haut et je me suis arrêté sur le côté, dans la forêt, là où je me gare pour
cueillir les champignons avec mes enfants.
Ensuite
j’ai attendu la fille avec sa belle poitrine. Ça me manque, ma femme n’en a
pas. Comme ça commençait à tourner à l’obsession, je lui ai proposé de lui
payer des prothèses mammaires. Je gagne assez d’argent, largement assez pour
lui offrir une opération. Ça m’aurait permis de tenir, mais Cathy préfère les
bijoux et tout ce qui saute aux yeux. L’un n’empêche pas l’autre. Elle peut
tout avoir si elle veut. Je ne lui refuse rien. Je lui ai même acheté une Mini
Cooper rouge cerise pour fêter nos quinze ans de mariage et qu’elle puisse se
pavaner à la sortie de l’école. Les crédits ne me font pas peur, je suis
banquier.
Avec
ma femme, je suis sans reproche. Jamais elle ne soupçonnerait mes incartades.
Pareil pour mes enfants. Si on m’accusait de quoi que ce soit, je parie qu’ils
sortiraient bec et ongles pour me défendre.
Quand
j’étais étudiant, je me ruinais en putes. Avec le temps, j’ai appris à me
maîtriser. Je ne voulais pas qu’on parle de moi comme de mon père quand j’étais
petit. Alors j’ai fait des efforts, je me suis marié et j’essaie de résister.
J’ai
regardé les minutes défiler sur l’horloge de ma voiture et j’ai pensé à la
fille.
D’elle,
Christiane disait qu’elle était courageuse de courir régulièrement, été comme
hiver. Elle n’aurait jamais pu en faire autant. Elle avait toujours un mot
gentil pour la fille qui court.
Elle
avait toujours un mot gentil, tout court.
Moi,
je me disais : Je me la ferais bien…
Ce
que Vivi pensait, lui ?
Il
ne me l’a jamais dit.
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© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 7, Claude
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