jeudi 19 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...





Ça fait sept ans que je vis ici. Avant je déménageais souvent pour cacher mes antécédents, mais je me plais bien au lotissement, ma femme et mes enfants aussi. Pour eux, j’ai essayé de me tenir, mais Vivi absent, je me suis senti perdu et j’ai dérapé.

Si je viens le voir tous les vendredis, c’est pas par hasard. Ça fait des semaines et des mois que j’y pense. Des mois et des semaines que le film se met en marche dès que je la vois passer derrière la fenêtre.

C’est pas le genre de Vivi de manquer notre rendez-vous. J’ai fait le tour de la propriété. Personne à part les poules et le coq. Un peu inquiet, j’ai essayé de l’appeler. Répondeur. Et puis j’ai pensé à la fille qui court.

D’habitude, je détourne la tête quand elle passe, alors que Vivi la regarde. Il me raconte que c’est la fille de Charles qui l’a élevée tout seul parce que sa femme est morte d’un cancer. Il dit qu’elle était gamine quand c’est arrivé. Elle a deux fillettes maintenant. Vivi ne l’appelle jamais par son prénom. Moi, je ne demande rien, je ne pose pas de questions.

Sans réfléchir, j’ai pris le volant de ma Scénic gris métallisé, choisie pour que Clément et Justine aient du confort et parce que le modèle est tellement répandu qu’elle passe inaperçue. J’ai avancé quelques centaines de mètres plus haut et je me suis arrêté sur le côté, dans la forêt, là où je me gare pour cueillir les champignons avec mes enfants.

Ensuite j’ai attendu la fille avec sa belle poitrine. Ça me manque, ma femme n’en a pas. Comme ça commençait à tourner à l’obsession, je lui ai proposé de lui payer des prothèses mammaires. Je gagne assez d’argent, largement assez pour lui offrir une opération. Ça m’aurait permis de tenir, mais Cathy préfère les bijoux et tout ce qui saute aux yeux. L’un n’empêche pas l’autre. Elle peut tout avoir si elle veut. Je ne lui refuse rien. Je lui ai même acheté une Mini Cooper rouge cerise pour fêter nos quinze ans de mariage et qu’elle puisse se pavaner à la sortie de l’école. Les crédits ne me font pas peur, je suis banquier.

Avec ma femme, je suis sans reproche. Jamais elle ne soupçonnerait mes incartades. Pareil pour mes enfants. Si on m’accusait de quoi que ce soit, je parie qu’ils sortiraient bec et ongles pour me défendre.

Quand j’étais étudiant, je me ruinais en putes. Avec le temps, j’ai appris à me maîtriser. Je ne voulais pas qu’on parle de moi comme de mon père quand j’étais petit. Alors j’ai fait des efforts, je me suis marié et j’essaie de résister.

J’ai regardé les minutes défiler sur l’horloge de ma voiture et j’ai pensé à la fille.

D’elle, Christiane disait qu’elle était courageuse de courir régulièrement, été comme hiver. Elle n’aurait jamais pu en faire autant. Elle avait toujours un mot gentil pour la fille qui court.

Elle avait toujours un mot gentil, tout court.

Moi, je me disais : Je me la ferais bien…

Ce que Vivi pensait, lui ?

Il ne me l’a jamais dit.
 
 

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© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 7, Claude

 

 

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