lundi 30 octobre 2017

La mue se poursuit et prend du temps!

 
 
Un peu de lecture en attendant...
 
 
 
 
Elle dit



Elle dit
Qu'il a fallu transcender
La vie pour s'y tenir
Laisser l'âme
Explorer le beau
Pour revenir
Elle dit
Les pieds seront mouillés
Éclaboussés de flaques
Interdites
Elle dit
Les nuits seront
Encore sauvages
Opaques et transparentes
À ôter les sept voiles
Pour cueillir la raison
Elle dit
Les jours longs
Défieront les larmes
Pour assumer le silence
Et réinventer un chemin
Elle dit
La mue n'est pas comète
La mue passe les saisons
La mue se prépare
Dans le temps sage
Qui ne se compte plus
Elle dit
Le passage du ventre
À la voix perdue
De l'étouffement
Aux jambes de plomb
Elle dit
L'invention d'une recomposition
La couleur d'un corps
Qui ne s'était jamais vu
 
 
© Marjorie Tixier, Regard intérieur, 20/05/2017
Image retouchée, Pixabay
 
 
 
Ce poème est en écoute ici et j'en fais la lecture en musique!

dimanche 29 octobre 2017

"La Danse du feu" opère sa mue...




La Danse du feu opère sa mue...


Peau de poussière
Je t'avale
C'est le temps qu'il faut...
Le temps qu'il faut
Pour liquéfier le passé
Vieille maison
À nettoyer
Demeure aux volets fermés
Sombre
D'éclats de lumière
Éventrés sur le parquet
Peau de poussière
Sous mes mains chiffons
Je te nettoie
C'est le temps qu'il faut
Le temps qu'il faut
Pour sécher mes pieds mouillés
Qui glissent sur le parquet
Et fourmillent
Pour que ma vie continue
Peau de poussière
Salie qui s'en va
Abandonnée qui oublie
Vieille poupée perdue
Dans l'amnésie du jardin
Poupée salie
À la branche d'un arbre
Pendue
Double de l'enfant
Qui s'est sauvée
En dansant
Pleure
Petite fille fugueuse
Pleure
Sur le déni
Des absences alentour
Pleure
Et invente une autre histoire
Sur la peau de poussière
Qui s'envole au souffle du vent
Juste le temps qu'il faut
Le temps qu'il faut
Comme le meuble
À la cire rajeunit
Ta peau de chagrin
Ravalée
D'autres sillons se creuseront
Pour t'inventer
Juste le temps qu'il faut
Le temps qu'il faut
Pour ôter la poussière
Et ouvrir les volets



© Marjorie Tixier, poème "Peau de Poussière", 2017
Image retouchée Pixabay

samedi 21 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours: petite pause


Pour varier les plaisirs, la suite de Un Matin ordinaire au fil des jours dans quelque temps...
 
Les déçus peuvent se ruer sur le texte entier en suivant le lien suivant:
 
http://bit.ly/2zdfqb1
Bientôt, la poésie sera de retour en lien direct avec La Danse du feu !
En attendant... bonne soirée à Valparaiso pour faire écho aux derniers mots de Laurence...
 
 
 
© Photo: Valparaiso

vendredi 20 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours... nous voilà à la moitié du roman!




Je me lève, lentement, péniblement, un muscle après l’autre, comme une poupée désarticulée. L’arbre m’empêche de tomber.
Malgré la douleur, je me remets à courir. Je traverse le chemin, trébuche, le souffle court, et quitte la forêt les yeux partout. À la force de mes mains, je remonte le talus, m’agrippant aux branches pour rejoindre les hauteurs, à l'ombre des arbres touffus.
La ferme n’est pas loin.
Demander de l’aide ? Je frissonne de plus belle.
Je veux qu’on me protège. Je veux rester seule. Je tremble qu’on s’approche de moi, qu’un homme s’approche de moi…
Tant bien que mal, je progresse sur les hauteurs.
Un coup d’œil à la ferme.
Il est là.
Ma peau est douleur, transpercée.
Il est là, son moteur tourne.
Je l’ai déjà vu ici, au même endroit, garé devant cette ferme, tous les vendredis matin. Oui, je l’ai vu, chaque semaine, l’air de rien, en passant.
J’avance avec précaution.
Je veux savoir, j’ai peur mais je veux savoir.
Qui ? Qui m’a massacrée ?
En surplomb de la ferme, je me cache. Je veux savoir sans me montrer, rester protégée pour reprendre ma respiration. Sur la route, le monospace est toujours à l’arrêt, mais son moteur continue de tourner.
Mon corps se glace, je ne respire plus, j'observe.
Les deux hommes se connaissent, je ne me suis pas trompée.
Je pourrai retrouver celui qui m’a agressée.
La voiture démarre en trombe. Il rentre chez lui et retourne à sa vie pendant que je suis tapie comme une petite souris.
Tout se fragmente.
Je suis tremblante et gelée. Le souffle coupé, impuissante.
Un long silence s’installe, un silence qui pourtant n’est pas absolu. La nature a son langage, ses bruits ininterrompus. Mon corps aphone perçoit chaque son comme amplifié.
Silence trop bref pour récupérer, un moteur se fait entendre. Ma tête s’emballe, le tronc contre lequel je m’appuie s’amollit, ses branches deviennent des bras – ses bras ses brindilles deviennent des doigts – ses doigts pour me prendre à la gorge. Tout se déforme à mesure que le véhicule se rapproche.
Et s’il revenait sur sa décision ?
Le bruit devient visible, ma respiration se bloque. À la place du monospace gris, je vois s'approcher un fourgon.
Il passe devant la ferme mais ne s’y arrête pas.
C'est mon mari. Au volant, c’est Edmond. Il a dû croiser la voiture grise sans se douter de rien. Tout en moi s’affole. La peur se décuple au lieu de se calmer. Je pourrais descendre de cette butte, me poster sur la route et lui faire signe, mais je reste tétanisée.
Plus un son dans mes écouteurs, je m’aperçois qu’ils ont disparu. La musique s’est évanouie, le bruit du moteur s’est dissipé lui aussi, engouffré qu’il est dans la forêt.
Perdue en moi-même, je ne prête pas attention au ronronnement du fourgon qui a rebroussé chemin pour se garer devant la ferme. Mon mari sort du véhicule, frappe à l'entrée. Un jeune homme en uniforme lui ouvre la porte.
D’ici, je n’entends pas ce qu’ils se disent, mais je vois clairement mon mari gesticuler.
Le policier s’avance, calme et posé, aussitôt renforcé par deux collègues.
Edmond insiste, les deux agents se lancent des œillades complices pendant que le chef observe avec la froideur habituelle des policiers en service pour qui chaque individu est un éventuel suspect.
Mon mari s’énerve, hausse le ton jusqu’à ce que le propriétaire de la ferme fasse son apparition. La conversation reprend. Ils doivent parler de moi et se demander où je suis pendant que je les regarde. La situation est intenable, mais la peur m’empêche d’agir. Peur qu’il s’en prenne à mes filles.
Je lutte, le souffle court, les mains trempées. Je me fais violence pour sortir de l'ombre. Je veux savoir s'ils s'interrogent à mon sujet. Je veux rassurer mon mari. Je veux me protéger aussi.
Alors je me redresse comme un corps enseveli revient soudain à la vie.
Chaque pas est un défi.
Les hommes continuent à discuter sans me voir. Les arbustes me cachent encore. Ils m’entendent cependant, s’étonnent, cherchent à identifier la provenance du bruissement.
Ils jettent un œil dans ma direction et se mettent à rire. Tous, sauf Edmond. Le fermier s’avance d’un bon pas. Il veut découvrir ce qui se cache derrière cet étrange bruit-là.
Je me laisse glisser dans les fourrés, accroupie pour ne pas tomber.
À la manière d’un automate, j’avance. Seule l’intention de rassurer mon mari me guide, même s’il commence à m’effrayer lui aussi.
Une fois en bas, je me redresse petit à petit pour sortir des buissons et me camper sur le bord de la route comme un corps nu qui se donne au supplice.
Tous les regards se tournent vers moi.
Personne ne bouge à l’exception d’Edmond qui se précipite en criant mon prénom.
Mes mains couvrent mes yeux, instinctivement. Il s’arrête aussitôt.
Il pourrait m'assommer de questions, me secouer, me demander ce que je fais là, dans les fourrés comme une bête égarée.
Impossible de le regarder en face, impossible de se toucher.
Deux des policiers trépignent tandis que leur chef exige qu’on me laisse tranquille. Sans se presser, il vient vers moi, vers nous. Sa jeunesse devrait me rassurer, mais je garde encore les dents serrées.
Dans mes yeux baissés, il lit probablement bien plus que je ne le devine. Il connaît ça, lui. Il a l’habitude de voir des femmes comme moi se présenter au commissariat.
Je sais qu’il me faudra parler, dire, raconter, me justifier.
Il le sait aussi, lui qui nous propose de nous accompagner pour déposer plainte. Il constate l’état de choc, garde ses distances, n’affirme rien, mais laisse la porte ouverte. Il sait combien c’est difficile de raconter une telle épreuve.
Mon mari me prend dans ses bras, je reconnais son étreinte et me laisse faire. Il me serre de toutes ses forces tandis que mes mains font à nouveau rempart entre mon visage et sa poitrine.
Je tremble, j’ai froid, mon corps n’est plus qu’une ombre.
— Viens, me dit-il. Allons au commissariat.
— Emmène-moi plutôt à Valparaíso.
 
Pour lire la suite, c'est ici!

© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 8, Laurence
 
 

jeudi 19 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...





Ça fait sept ans que je vis ici. Avant je déménageais souvent pour cacher mes antécédents, mais je me plais bien au lotissement, ma femme et mes enfants aussi. Pour eux, j’ai essayé de me tenir, mais Vivi absent, je me suis senti perdu et j’ai dérapé.

Si je viens le voir tous les vendredis, c’est pas par hasard. Ça fait des semaines et des mois que j’y pense. Des mois et des semaines que le film se met en marche dès que je la vois passer derrière la fenêtre.

C’est pas le genre de Vivi de manquer notre rendez-vous. J’ai fait le tour de la propriété. Personne à part les poules et le coq. Un peu inquiet, j’ai essayé de l’appeler. Répondeur. Et puis j’ai pensé à la fille qui court.

D’habitude, je détourne la tête quand elle passe, alors que Vivi la regarde. Il me raconte que c’est la fille de Charles qui l’a élevée tout seul parce que sa femme est morte d’un cancer. Il dit qu’elle était gamine quand c’est arrivé. Elle a deux fillettes maintenant. Vivi ne l’appelle jamais par son prénom. Moi, je ne demande rien, je ne pose pas de questions.

Sans réfléchir, j’ai pris le volant de ma Scénic gris métallisé, choisie pour que Clément et Justine aient du confort et parce que le modèle est tellement répandu qu’elle passe inaperçue. J’ai avancé quelques centaines de mètres plus haut et je me suis arrêté sur le côté, dans la forêt, là où je me gare pour cueillir les champignons avec mes enfants.

Ensuite j’ai attendu la fille avec sa belle poitrine. Ça me manque, ma femme n’en a pas. Comme ça commençait à tourner à l’obsession, je lui ai proposé de lui payer des prothèses mammaires. Je gagne assez d’argent, largement assez pour lui offrir une opération. Ça m’aurait permis de tenir, mais Cathy préfère les bijoux et tout ce qui saute aux yeux. L’un n’empêche pas l’autre. Elle peut tout avoir si elle veut. Je ne lui refuse rien. Je lui ai même acheté une Mini Cooper rouge cerise pour fêter nos quinze ans de mariage et qu’elle puisse se pavaner à la sortie de l’école. Les crédits ne me font pas peur, je suis banquier.

Avec ma femme, je suis sans reproche. Jamais elle ne soupçonnerait mes incartades. Pareil pour mes enfants. Si on m’accusait de quoi que ce soit, je parie qu’ils sortiraient bec et ongles pour me défendre.

Quand j’étais étudiant, je me ruinais en putes. Avec le temps, j’ai appris à me maîtriser. Je ne voulais pas qu’on parle de moi comme de mon père quand j’étais petit. Alors j’ai fait des efforts, je me suis marié et j’essaie de résister.

J’ai regardé les minutes défiler sur l’horloge de ma voiture et j’ai pensé à la fille.

D’elle, Christiane disait qu’elle était courageuse de courir régulièrement, été comme hiver. Elle n’aurait jamais pu en faire autant. Elle avait toujours un mot gentil pour la fille qui court.

Elle avait toujours un mot gentil, tout court.

Moi, je me disais : Je me la ferais bien…

Ce que Vivi pensait, lui ?

Il ne me l’a jamais dit.
 
 

Pour lire la suite, c'est ici!



© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 7, Claude

 

 

mercredi 18 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...




Comme un enfant qui rêve de super-héros, je rêve de victoires.


J’ai toujours été comme ça. Envie de bouger, de me dépenser. Je rêve d’arriver le premier et rien ne peut m’arrêter.

Avec mon pote Axel, on se tire la bourre depuis toujours. Soit c’est lui qui gagne, soit c’est moi, mais ici, la médaille, c’est forcément pour nous. On n’est pas des pros, mais on s’en inspire.

Pour le sport, j’ai arrêté mes études à vingt ans. Je voulais des défis à relever et des missions à accomplir. J’ai fait mon service militaire, mes amis m’ont regardé de travers. Pour eux, quoique bien affûté, j’avais pas le profil. Axel s’y est mis aussi, mais ma décision était prise.

Au début, j’en ai bavé, à cause de la discipline. J’ai tenu bon. Fidèle à ma résolution, je me suis plié aux règles et j’ai pris goût à l’effort. J’ai appris à me battre, à me donner corps et âme pour atteindre mes objectifs. J’ai commencé à enquiller les défis et si Jim m’avait dit comme dans Mission impossible : « Bonjour Jérôme. Votre mission, si toutefois vous l’acceptez… », j’aurais répondu OK sans hésiter.

À la fin de l’année, on m’a proposé la Police nationale. Concours, uniforme bleu marine et titre de gardien de la paix à la clé. J’ai eu un poste ici, à deux pas de chez moi. C’est super, ça me laisse du temps pour m’entraîner avec Axel. On se cale des séances de deux heures, c’est stimulant. Il me booste, il est plus fort que moi, mais il se la raconte pas.

Au début, la course à pied, je trouvais ça con. C’est Axel qui m’a embringué là-dedans quand j’ai arrêté le moto-cross pour acheter une maison.

Vivi, un ami de la famille, avait un bon plan pour moi. Maison avec vue sur le lac, juste à côté du nouveau lotissement. Camille était emballée, prête à faire des heures supplémentaires et Vivi avait un copain banquier pour nous faire un bon prêt. J’ai foncé.

On a signé le compromis de vente et, six mois plus tard, on s’est installés. Camille s’occupe des travaux, de la déco et du jardin. Elle me demande rien, sauf quand c’est lourd. Elle sait que pour moi le sport passe avant tout. En échange, je lui fais la cuisine et les courses.

Comme le banquier, Axel a acheté une parcelle pour construire une maison à ossature en bois près de chez moi.

On s’éclate. On sort de chez nous et direct, dans les bois. Sans moto-cross, je m’ennuyais comme un rat mort, alors je me suis mis à la course. Camille m’a offert une super montre cardio et j’y ai pris goût !

On s’est fait un programme de fous avec un logiciel de pros. Mon naturel est revenu au galop, rêves de victoires, de retrouver avec la course les sensations que j’avais sur ma moto.

Et si on faisait un marathon ?

J’ai lancé ça à la cantonade. Fin de soirée bien arrosée, en boîte.

C’était pour rigoler et se faire un gros délire. On se voyait déjà à l’affiche du fameux quarante-deux kilomètres et cent quatre-vingt-quinze mètres. On se prenait pour le messager antique qui avait couru de Marathon à Athènes pour annoncer la victoire contre les Perses.
 
Voilà comment on s’est fixé en point de mire le marathon de Paris en avril.



Pour lire la suite, c'est ici!

© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 6, Jérôme
 
 

mardi 17 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...




Mes filles font tout mon bonheur, chacune ressemble un peu à Laurence, à sa façon, mais je ne saurais trop dire comment.

Il y a quelques années, elles se sont mises à réclamer leurs grands-parents. Elles s’étaient donné le mot et répétaient en boucle : Quand est-ce qu’on verra papi et mamie ?

J’étais perdu. Je faisais comme si je n’avais rien entendu. Ça doit être pour ça que les filles en remettaient une louche à chaque fois.

Comme toujours, c’est Laurence qui a trouvé la solution.

Un matin, elle a pris son courage à deux mains pour décrocher le téléphone. C’est ma mère qui lui a répondu. Elle a dit que c’était plus la peine de venir, que c’était bien comme ça et puis qu’elle l’avait jamais vue enceinte, alors que pour elle, y avait pas de petite fille. Laurence a dit : Au revoir et portez-vous bien. Elle ne s’attendait pas à autre chose.

Le soir, on a réuni les filles autour du feu pour leur expliquer la situation. Annie a dit : On a compris. Julie a gardé le silence en me regardant tristement. Elle avait dû sentir la faille qui me séparait de mes parents.

J’aurais pu, comme Laurence, passer le bac et tout le tralala. J’aurais pu lire, lire, lire en douce comme Julie même si mon père refusait de me prêter ses livres neufs de peur que je ne les salisse. J’ai préféré travailler, gagner ma vie le plus tôt possible pour ne rien avoir à demander. Pour ça, rien de tel que le bâtiment. J’aurais voulu partir loin, disparaître du jour au lendemain, mais je n’arrivais pas à laisser maman, alors je suis resté dix ans à végéter sous le regard noir de mon père. Je lui ai versé plus des trois quarts de mon salaire pour rester là, travailler six jours par semaine, sortir avec les collègues le samedi soir et jouer au ball-trap le dimanche après-midi. Je rapportais souvent des coupes dont mon père n’avait que faire, seules lui importaient les victuailles qui allaient parfois avec. Il avait manqué de tout pendant la guerre, de nourriture surtout. Il mangeait toujours lentement, solennellement, en silence et sans gaspiller. Je me demande encore comment j’ai pu rester si longtemps. Pour aider maman, probablement. Papa ne mettait jamais la main à la pâte. Tout son temps libre était consacré à la lecture. Il répétait qu’une vie ne suffirait pas à rattraper son retard et me méprisait de regarder la télé. Mes frères étaient déjà mariés, partis, ouvriers aussi pour gagner du temps et ne rien demander à celui qui gardait tout pour lui.

Il m’a fallu Laurence pour m’arracher de ma souche et des années pour m’en pardonner. Je ne regrette pas.

Julie pleure, en cachette. J’aimerais savoir la consoler, la prendre dans mes bras, lui dire que je l’aime, qu’elle est ma fille adorée, belle comme la plus belle jacinthe de mon jardin (je l’aurais plutôt appelée ma rose, mais c’est interdit dans la maison, à cause de la mère de Laurence), alors je la compare à une jacinthe, parce que sa peau de fillette exhale cette senteur envoûtante de la jacinthe en hiver. Je ne l’ai pas prise dans mes bras quand j’ai vu son regard triste au coin de la cheminée. C’est toujours Laurence qui console les filles. Moi, je n’ose pas les approcher. Elles me font peur elles aussi, vraiment. Ma douceur est de leur offrir des Mentos en sortant de la piscine, mais Julie n’en mange pas, alors je ne sais pas comment lui faire plaisir.
 

Pour lire la suite, c'est ici!
 

© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 5, Edmond
 
 
 

lundi 16 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...




Dans mon sac j’ai des faux billets, des faux chèques, mais des vrais stylos, un vrai miroir et un vrai couteau en plastique. Les vrais stylos servent à remplir les faux chèques, pour payer les cigarettes. Le vrai miroir, c’est pour être sûre que j’aie bien mis le rouge à lèvres. Le vrai couteau, c’est pour le grand méchant loup. Julie en a peur, elle dit qu’il faut se cacher dans la garde-robe pour qu’il ne nous voie pas. N’importe quoi !

Il n’y a pas de loup ici, seulement des renards et ils ont peur de nous. Alors le couteau (en plastique) c’est pour couper l’oseille que je ne mange plus parce que moi aussi je commence à avoir mal à l’estomac.

Quand on joue avec Julie, c’est jamais drôle. Elle a toujours un pet de travers. À la piscine, c’est à cause de son maillot de bain parce qu’elle a honte de ce qui est écrit dessus.

Moi, je lui dis :

C’est pas grave, tu croises les bras sur ton ventre et tu cours jusqu’au grand bassin (c’est interdit mais on dira qu’on savait pas), tu plonges et on en parle plus.

Julie ne répond pas, pour elle j’ai bien compris que c’est mission impossible.

Je n’ai peur de rien, moi. Je fonce. Dans l’eau, plus je fais de bruit, plus je m’amuse. J’adore jouer au petit chien avec papa, rigoler, crier, me trouver de nouveaux copains, faire des bombes et éclabousser tout le monde. Je me dépense. Je me dépense tellement que j’ai toujours une faim de loup à la sortie de la piscine. J’engloutis tous les Mentos que papa achète au distrib’, je dévore l’intégralité du repas que maman a préparé, mais c’est jamais assez alors je lèche mon assiette, le plat et avale tout ce qui traîne dans le plus grand secret. Je suis tellement gourmande que maman me rationne parce que je passe ma journée à lui demander : Quand est-ce qu’on mange ?

J’ai juste un peu de ventre, un rien, pas grand-chose, mais maman ne veut pas que je prenne de mauvaises habitudes. C’est pour ça qu’elle me répète à tous les repas, y compris au goûter:

Annie, ma chérie, ça suffit, tu as assez mangé.
Moi, je ne trouve pas. J’en veux toujours plus.




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© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 4, Annie

dimanche 15 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...



Ma femme, aurait bien aimé être musicienne, mais elle n’a pas eu le courage de s’y mettre. Elle disait toujours : C’est trop tard, je suis trop vieille, je n’y arriverai pas, c’est pas pour des gens comme moi… Elle se trouvait des excuses, de bonnes excuses pour ne rien faire et se dessécher petit à petit. Ma fille est tout son contraire, encore aujourd’hui et même après des années de refus, elle continue de demander à son mari de l’emmener à l’étranger.

D’ailleurs, elle va bientôt arriver. Je remets en ordre mes cheveux blancs. Je l’attends avec impatience, les yeux rivés sur ma montre qui reste indéfectiblement à mon poignet, même si elle gêne les infirmières. Laurence sera à l’heure. Onze heures précises, dans un quart d’heure, elle sera là toute belle, toute ma fille infirmière qui ne me soigne pas, pas de cette façon-là.

Je l’attends. Je suis sûr qu’elle serait contente que je tombe amoureux à mon âge, si l’on peut dire ! Parfois elle évoque encore Christiane qui était si gentille qu’on avait fini par l’inviter aux anniversaires des filles. Ce souvenir me réjouit et me détend pour laisser place à une douce somnolence.

Je revois ma fille toute petite, toute mignonne avec ses cheveux au carré, sa blouse d’infirmière, ses gants en plastique et son baigneur dans les bras. Avec elle, j’ai appris à aimer, pas juste pour moi, mais pour qu’elle soit heureuse et ne manque de rien.
 J’ai surtout appris à ne plus me sentir coupable.

Pour lire la suite, c'est ici!

© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 3, Charles

vendredi 13 octobre 2017

"Un Matin ordinaire" au fil des jours...




Pour tirer le rideau, j’y vais mollo. Je fronce à peine le tissu, mais assez pour bien la voir. Je fais jamais ça pour Edmond, il m’intéresse que pour me dépanner quand j’ai une petite fuite ou un petit désagrément. Il est bonne pâte. Je lui donne une bouteille de bière ou de pastis, ça lui va toujours. Il me remercie et me dit : À la prochaine.

Les filles sont bien jolies, mais je cherche pas à les voir non plus. Elles font un bruit ! Surtout quand elles jouent à la balançoire, ça chante à tue-tête, en particulier la cadette qui vocifère des trucs sans queue ni tête. Le pire, c’est l’été, dans la piscine. Les filles y passent leurs après-midi en petite tenue, l’aînée (pas celle qui crie) porte un maillot de bain fuchsia sur lequel est écrit en grandes lettres jaunes « Super nana » (elle croise les bras sur son ventre quand quelqu’un s’approche, elle doit avoir honte, la pauvre). L’eau gicle partout, ça hurle, ça crie, ça rit et ça patauge comme des bécasses, le poste à fond avec cette même chanson en boucle qui a aucun sens, sans doute d’un nouveau groupe de sauvages. Moi, connais pas.

Bref, les filles, Julie et Annie, sont la plaie de mes vieilles oreilles. Dans le silence de l’hiver, quand la neige tombe, elles arrivent encore à piailler en faisant un bonhomme de neige.

La voisine est calme, elle crie pas, sa voix de rossignol appelle. Si j’allais à l’hôpital, j’aimerais qu’elle soit mon infirmière. Je sentirais ses seins se pencher sur moi quand elle réglerait ma perfusion, ses jolis seins ronds, comme les miens. Elle porterait sa blouse blanche, pas un tablier, non, une blouse, toute propre chaque matin qui sentirait la lavande.



Pour lire la suite, c'est ici!
 
© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 2, Thérèse

jeudi 12 octobre 2017

"Un matin ordinaire" au fil des jours...



Papa ne me demande pas comment je vais. Je crois qu’il n’a jamais pensé que je pouvais avoir des hauts et des bas comme lui. Certes je n’ai pas sa maladie, et même pas de maladie du tout. J’ai un mari, une belle maison, un travail intéressant et deux ravissantes petites filles, mais je ne vois pas pourquoi à moi aussi on ne demanderait pas parfois : Comment vas-tu ?

Peut-être parce que je suis infirmière. Si je prends soin des autres, c’est que je sais prendre soin de moi.
 
Pour lire la suite, c'est ici!
 
© Marjorie Tixier, Un Matin ordinaire, chapitre 1, Laurence

mardi 10 octobre 2017

En concours!


Un roman sur la résilience...

N'hésitez pas à le lire (c'est gratuit), à le soutenir si vous l'aimez, à m'en dire ce que vous en pensez!

Cliquez sur ce lien pour découvrir le concours lancé par Librinova auquel je participe:


lundi 9 octobre 2017

Compte à rebours

Bientôt de la lecture!

  Je vous prépare une petite surprise...

  Il sera question de roman et de résilience, je vous laisse imaginer la suite!



© Photo: Valparaiso

vendredi 6 octobre 2017

Dernier volet de la série des chiens chiliens







Parle-moi des baisers

 


Parle-moi des baisers
Ici, j'en ai vu beaucoup
Où les gens ne s'embrassent
Qu'une fois sur la joue
Pour se saluer.

Parle-moi des baisers
Ici, j'en ai vu de nombreux
Où les jeunes amoureux
Se tiennent la main
Le long de l'océan
Et des dessins géants.

Parle-moi des baisers
Ici, j'en ai entendu
Des couples des hôtels
Au murmure des oies sauvages
Jusqu'aux embrassades des chiens.

Il est des baisers
Qui claquent dans le vent
Et pétillent dans les verres
Des baisers de bout de vies
Qui se croisent
Et se présentent
Avant de s'en aller.
 
© Marjorie Tixier, Encres chiliennes, 2014
Photo: Ile de Pâques, Chili

2023 s'achève... petite rétrospective

  2023 s'achève bientôt et, vous l'aurez remarqué, j'ai laissé de côté les publications sur ce blog car la vie s'est chargée...